Il y a une beauté certaine dans les lotissements. Une beauté faite de ciel au-dessus de toits tous identiques et de haies résineuses, de la répétition d’une même idée obstinée, convaincue, de ce qu’est la vie. La beauté des fleurs des parterres, parmi les jeux des enfants sur les pelouses où grandissent des arbres chétifs. Celle des rues en coude dont le goudron s’écaille et où éclate au printemps le jaune presque criard des pissenlits. Si les habitués des métropoles, des vieilles pierres et du patrimoine trouvent ces quartiers «sans âme», c’est peut-être seulement qu’ils n’y ont pas goûté le repos du vendredi soir, ni les chants d’oiseaux d’une aube insoupçonnée par le velux ouvert. C’est sans doute qu’ils ignorent la valeur de cet espace à soi qui est à la fois intérieur et extérieur, privé et au grand air. Ils n’ont pas vu comment on peut, depuis le jardin d’une de ces maisons, se prendre pour les premiers hommes, ou les derniers. Nature artificielle, paradis sérialisés, certes. Mais qui ont le mérite d’exister.

Dès l’apparition des lotissements en France, au premier chef desquels ceux de Levitt, une armada de contempteurs leur tomba dessus à bras raccourcis. La majorité de ces contempteurs sortaient des rangs d’intellectuels revendiquant la libération des peuples par le biais du marxisme et d’une réflexion construite sur le poids des discours politiques et marchands, mais aussi sur le rôle de l’urbanisme dans les rapports de classes. Baudrillard, Debord, Lefebvre, Pasolini… On peut les comprendre : alors même que la Team X et la New Babylon de Constant imaginaient la cité idéale comme l’espace où refonder la communauté humaine hors de toute aliénation, les citoyens se ruent comme un seul homme sur les maisons Levitt et leurs avatars, chacun pour soi et Dieu pour tous. Utopie contre utopie, il est facile de voir laquelle a triomphé de l’autre. Rien n’a changé depuis : le discours urbanistique (Mangin, 2003) a beau souligner tant qu’il peut les dangers non plus seulement politiques, mais aussi écologiques de l’étalement urbain, les journaux ont beau s’en moquer plus qu’à demi-mot, le rêve du pavillon, du carré de jardin, des rires d’enfants et des chants d’oiseaux reste celui d’une majorité des Français.

Fanny Taillandier

Exposition Levitt town, une utopie pavillonnaire - Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, 2017.

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Utopie / Maladrerie